Echos Temporels - 3

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L'accalmie qui avait précédé la décision d'Ezra de rester en 1895 avait été délicieuse, du moins comparée à la grande tempête qu'il allait déclencher en laissant la porte du temps ouverte dans son futur maintenant révolu. Les jours s'écoulaient lentement en compagnie d'Elisabeth, rythmés par le doux son de la pendule et les éclats de rire qui, tels des papillons, s'échappaient par les fenêtres de la cossue demeure victorienne. Elisabeth semblait apprécier cette vie décalée, où le mélange incongru de leur deux époques imprégnait chaque moment. Elle aimait le dysfonctionnement joyeux des choses modernes qu'Ezra avait ramenées, la pizza aux anchois en tête. C'était leur secret, une bulle insouciante dans une époque rigide et contraignante. Mais Ezra, malgré la tranquillité apparente de sa nouvelle vie et le bonheur qu'il entrevoyait avec Elisabeth, sentait un malaise grandissant. Son coeur se serrait à chaque passage temporel non contrôlé qu'il ouvrait. Pousser son amour pour Elisabeth l'avait amené à se placer lui-même dans un étrange paradoxe : rester à ses côtés impliquait de violer les lois intangibles du continuum espace-temps. Son esprit logique était alarmé par les conséquences possibles d'une telle action. Guerres, famines, pandémies, tout était possible. Les cause à effet s'enchevêtraient dans son esprit, telle une toile d'araignée dont on aurait perdu le fil. Il entrevoyait les signes avant-coureurs d'un cataclysme, ça lui pesait non seulement en tant que scientifique mais aussi en tant qu'humain. Le brouillard du doute avait envahi son esprit quand arriva une lettre, glissée sous la porte, portant un sceau étrangement familier. Ce sceau, il l'avait un jour dessiné par amusement. Il représentait une horloge à engrenages, symbole de son attachement à la beauté impénétrable du temps. Cette lettre lui était adressée...et l'en-tête portait la date du 21ème siècle. L'auteur, inconnu, avait écrit en majuscules : 'INTERROMPS LES VOYAGES TEMPORAIRES, CERTAINS CHOSES NE DOIVENT JAMAIS CHANGER'. Si Ezra avait eu des doutes, cette lettre venait de le plonger dans une véritable tempête.